À quoi servent les « gender studies » ? À en lire ses adeptes, on peut se le demander. Leur production oscille entre ego-trip minoritaire (« quête initiatique d’une gouine et une folle en territoire hétérosexuel »), petits manuels de grooming (« comment « queerer » les salles de classe ») parfois franches loufoqueries (« herbier queer »)1…
Que fait donc le chercheur woke sur son temps de travail ? De la recherche… mais pas celle pour laquelle il est payé. Surtout pas à décrire la complexité des choses : son monde est simple, figé, réduit à une éternelle lutte politique entre éternels « dominants » et éternels « dominés ». Remettre en cause cette grille de lecture (construite à gros moellons selon Marx, Delphy et Butler) est déjà du « fascisme ». Non, il cherche les armes pour peser dans cette lutte, et sans scrupules aucun.
C’est un vrai métier : il consiste surtout à inventer des falsifications historiques (parfois statistiques). L’impossible « masculinisation du français » sert ainsi à justifier l’imposition de l’écriture inclusive, le fantasmé « passé colonial suisse » à développer un rentable culte de la repentance en Helvétie. Bricolages grossiers ? Oui mais efficaces, des médias complices se chargeant de les présenter au grand public comme des vérités. Le succès aidant, ces mythes deviendront tellement nombreux qu’ils finiront par se faire concurrence : ce sera la bataille pour les « guerriers vikings ».
La « gender archeology », ou la quête à tout prix de « sociétés anciennes LGBT-friendly »
Les wokes veulent déconstruire les valeurs traditionnelles des sociétés occidentales. Pour cela, le plus efficace est de prouver qu’elles n’ont justement rien de « traditionnel » ou « naturel » : les arguments des conservateurs perdraient alors tout leur sens. Pour le démontrer, les militants vont donc chercher des contre-exemples de sociétés féministes et LGBT-friendly.
Hélas pour eux… ils n’existent pas. L’immense majorité des sociétés du passé et/ou non-occidentales semblent avoir été solidement « patriarcales » : infériorité politique des femmes, homosexualité parfois timidement tolérée mais généralement taboue, « fluidité de genre » le plus souvent limitée au travestissement et liée à des pratiques cérémonielles. La theory a donc du plomb dans l’aile.
Qu’à cela ne tienne : nos militants vont tricher. On va d’abord attribuer les côtés déplaisants des sociétés non-occidentales à la mauvaise influence des Blancs : le rejet de l’homosexualité en Afrique est ainsi systématiquement présenté comme une « conséquence du colonialisme » … alors même que les plus réfractaires sont les peuples jamais colonisés (Éthiopie, Libéria). Et là où les faits sont trop gros pour être niés (monde islamique), on va tout bonnement les passer sous silence.
Quant aux cultures anciennes, par définition mal connues, rien de plus simple que d’inventer les contre-vérités nécessaires à l’action politique en cours. On évoque ainsi une fictive « égalité des sexualités » dans la Chine ancienne ou la Rome antique pour justifier le mariage homosexuel. Pour appuyer le transactivisme, on revendique anachroniquement comme « trans » ou « non-binaire » tous les figures travesties anciennes connues : berdaches amérindiens, shamans suomis, prostitués sacrés hijras… même quand leurs descendants protestent. Pour gagner, tout leur est permis – jusqu’à l’ « appropriation culturelle », crime quand leurs adversaires la commettent.
Très tôt, ces pieux mensonges ont été soutenus par des universitaires partisans : ils acquièrent alors une apparence de « science » utile pour convaincre le public. Dans les années 1930, l’anthropologue féministe lesbienne Margaret Mead faisait sensation en décrivant des sociétés océaniennes matriarcales, sexuellement libres et heureuses… qui n’étaient en fait rien de tout cela. Mais c’était un prétexte utile pour réclamer un changement radical dans les mœurs américaines, jugées en comparaison « névrosantes ». Devenus des best-sellers, ses livres contribuèrent à la révolution sexuelle des années 60. On ne découvrira la supercherie que vingt ans plus tard.
Dans les années 1970-80, sur fond de politisation des universités, ces chercheurs militants gagnent en influence et fondent de véritables départements, les fameuses « Studies » (Black Studies, Gender Studies, LGBT+ Studies…). Après 2010, forts du soutien des médias, ils feront de la fabrication de mythes à but politique une véritable industrie. Un bon exemple est celui de la « Jeanne d’Arc queer », inventé par l’ »historienne du genre » Clovis Maillet, elle-même gender-fluid. Qui ne repose sur rien… mais quelle importance ? Ses « travaux » à peine publiés, ils bénéficient d’une écrasante couverture de presse, inspirent pièces de théâtre et manifestes militants, justifient la wokisation des Jeux Olympiques 2024… bref, un immense gain politique pour un tout petit mensonge – avec l’avantage de chasser sur les terres des conservateurs et catholiques.
Vers 1985 naît ainsi la « Gender Archeology ». Décalque exact des « Gender Studies », elle en reproduit la rhétorique au mot près : « l’archéologie est politique », « l’objectivité est un mythe », donc j’ai le droit de faire passer mon militantisme pour de la science2. Les premiers « archéologues du genre » seront surtout féministes intersectionnels, rapidement rejoints par des militants LGBT+ : naîtront ainsi deux courants, la « feminist archeology » et la « transgender/queer archeology ».
Très radicale, la « queer archeology » n’a plus de scientifique que le nom. Son but avoué est de « forcer [la société] à reconnaître la fluidité et la nature contextuelle de l’identité humaine »3. Que rien ne le prouve ne les dérange pas : nos militants vont recourir aux habituelles techniques woke de mise au pas des sciences humaines. D’une part, ils feront taire les collègues qui osent rappeler les faits : en mars 2020, une anthropologue canadienne sera ainsi limogée pour avoir affirmé qu’il « n’existe que deux genres ». De l’autre, ils inventeront les « preuves » du contraire, à l’aide d’interprétations toujours plus fantaisistes. La tombe d’un acteur athénien du IVe siècle contient (sans surprise) une boite à maquillage ? C’est le « signe d’une certaine fluidité de genre » en Grèce Antique4. Une chronique éthiopienne affirme qu’une nonne et une sainte « s’aimaient » ? C’est la preuve d’un lesbianisme chrétien dans l’Afrique de l’Est du XVIIe siècle5…
En se cooptant, les militants parviennent ensuite à faire passer ces travaux douteux dans des revues universitaires : des archéologues s’en indigneront dès la fin des années 90, en vain6. On verra même publier, sous couvert d’articles scientifiques, de vrais petits manuels d’action politique : tel ce fascinant « Queerons l’archéologie serbe », appel à soutenir l’imposition de l’éducation sexuelle dans les écoles des Balkans.
Publications et titres universitaires leur permettent ensuite d’être pris au sérieux par les médias.
Ceux-ci, complices ou négligents, ne font pas de différence entre preuve et interprétation (tirée par les cheveux). On voit paraître des articles comme « L’Egypte antique était totalement queer », « Cet empereur romain était une femme trans »… ne reposant sur rien de sérieux, mais fort utiles à normaliser la queerness/transidentité auprès du grand public, en affirmant qu’elle remonte à la plus haute Antiquité, caution « scientifique » à l’appui. La fabrication de ces mythes va prendre une telle ampleur que les « archéologues queer » finiront par entrer en concurrence avec leur alliés « archéologues féministes » : ce sera la controverse de Birka.
La tombe disputée de Birka : féministes contre transactivistes
En 1878, on découvre une tombe scandinave du Xe siècle dans le site archéologique suédois de Birka. Baptisée « Bj.581 », c’est selon toute apparence la dernière demeure d’un guerrier de haut rang, enterré avec son épée, ses chevaux, vêtements somptueux… le contexte général le fait classer comme « homme ».
En août 2017, une équipe de chercheurs déclare, analyse ADN à l’appui, que le défunt était en fait une femme. Ils affirment alors avoir découvert la première « guerrière viking » : jusque-là, seule la mythologie scandinave et quelques sources historiques isolées laissaient supposer leur existence. Leur publication reçoit un écho médiatique mondial : il est relayé par plus de 130 agences de presse, inspire quatre documentaires et un livre pour enfants… « Wonder Woman a [vraiment] existé » ira jusqu’à écrire le Washington Post.
Plusieurs archéologues vont cependant juger l’article sensationnaliste, et remettre en doute ses conclusions. Une femme enterrée comme un guerrier n’en est pas forcément un, souligne un chercheur. Le squelette de la défunte, morte pourtant à la trentaine passée, ne présente d’ailleurs aucun stigmate d’éventuels combats. Un autre archéologue rappelle que la tombe a été creusée au XIXe siècle avec des moyens primitifs : les os ont été ensuite rangés avec si peu de soin qu’on a retrouvé trois fémurs dans le sac qui les contenait. Des éléments suggèrent d’ailleurs la présence à côté de la femme d’un corps d’homme, guerrier dont elle serait seulement l’épouse7. Mais les auteurs ont visiblement favorisé la thèse de la « femme puissante », quitte à multiplier les affirmations peu fondées : comme en faire un « officier de haut rang » avec des « connaissances tactiques » … sur la seule base de la présence d’un jeu de stratégie dans la tombe.
Ces interprétations fantaisistes étonnent : moins, quand on sait que Neil Price, auteur principal de l’article, en est régulièrement accusé8, et que certains co-auteurs sont des tenants connus de l’ « archéologie féministe ». Mais à militant, militant et demi : ils vont être aussitôt attaqués par des « archéologues queer ». « Viking femme », mais pourquoi pas « viking transgenre ou non-binaire » ? Une controverse va rapidement s’engager entre les universitaires des deux camps, soutenus par leur communauté respective sur les réseaux sociaux. Les vraies objections, bien que reprises parfois dans les journaux, passeront loin derrière.
Pour comprendre la futilité de la polémique, il faut savoir qu’aucune tombe scandinave ne ressemble à une autre, au point que toute classification est impossible9. Il n’y a donc pas de « rite funéraire viking » dont on pourrait tirer une généralité. Même la présence d’une épée ne prouve rien : on en retrouve parfois sur les squelettes de vieillards et d’enfants incapables de porter les armes10. Mieux, Bj 581 n’est peut-être même pas une « tombe viking » du tout : Birka était un centre commercial et lieu de passage, la tombe présente des traits culturels d’Europe de l’Est, dont la défunte proviendrait selon les analyses mêmes de l’article.
Conclure dans ces circonstances est de la folie : mais « queer » et « féministes » veulent tous deux une preuve historique pour leur cause. Assez vite, cependant, les « archéologues queer » auront le dessous. L’image de la « guerrière viking », très présent dans la culture populaire (jeux vidéo, séries télévisées) fascine le grand public. Les médias et institutions post-MeToo, tenus d’afficher leur soutien à la cause des femmes, relaient massivement l’article. C’est à la fois un exemple de femme puissante, et la preuve qu’elles ont été « effacées de l’histoire » par une science masculiniste, comme l’écrit dans The Guardian une anthropologue militante.
Les auteurs ont aussi l’avantage de la notoriété académique : les « archéologues queer », souvent de très jeunes chercheurs, n’ont pas assez de poids auprès de la presse pour remettre en cause la version des « féministes » mieux établis. Surtout qu’à des preuves douteuses, ils opposent… pas de preuve du tout, ce que leurs adversaires ne se privent pas de rappeler.
Les « archéologues queer » vont alors biaiser, par de curieux procès en « mégenrage des os ». Et si le défunt de Birka, après tout, était une femme et une non-binaire ? Rien ne l’affirme… mais comme on ne peut l’exclure, il faut le mentionner, sinon on la « discrimine » peut-être ! « En insistant sur [son] identité de femme, nous effaçons activement sa potentielle identité transgenre », se lamente un militant-chercheur canadien, « à cause de l’obsession actuelle des médias pour les femmes puissantes »11. D’autres réclament qu’on ne mentionne plus le sexe des ossements trouvés, ou qu’on le réduise à un « sexe ostéologique » 12.
Ce souci absurde de ne pas « offenser » des gens morts depuis des siècles cache mal une tentative de faire apparaître, artificiellement, de possibles transidentités partout dans le passé. Parfois, la ficelle est si grosse que ç’en devient cocasse. Une tombe mérovingienne se révèle vide ? C’est l’occasion de quinze pages de de platitudes idéologiques sur ce non-binaire qu’on aurait pu trouver13. La queer archeology est plus malhonnête que la feminist archeology… mais d’un degré seulement.
L’ironie, c’est qu’ici les uns auraient pu sans souci être à la place des autres. Neil affirmera un peu plus tard dans un livre controversé que les vikings avait une conception du genre « au-delà de la binarité biologique », et plusieurs de ses co-auteurs louent les « approches queer » dans leurs travaux. À rebours, les « archéologues queer » se revendiquent pour la plupart également « féministes ». Plus qu’une guerre de clans, le conflit semble être une opposition de circonstance au sein du même milieu d’universitaires woke, en concurrence permanente pour l’attention des médias. Certains préfèrent ici jouer la carte « femme », d’autres la carte « non-binaire », mais ils partagent le même fonds idéologique.
D’ailleurs, quand en 2019 les auteurs publieront un second article pour « répondre à la polémique », ils se garderont bien de mettre en défaut leurs adversaires « queer ». Les critiques se concentrent sur les quelques archéologues contradicteurs objectifs, qualifiés de « sceptiques pavloviens » (sic). Et elles n’ont rien de scientifique : peu importe que la défunte ait vraiment été une guerrière ou non, la « warrior-ness est une construction genrée », et la présence d’une épée suffit à l’y assigner. Le contester est « insupportable » car s’il s’était agi d’un homme, personne n’oserait questionner son statut de combattant : certains ont visiblement « besoin » de la « déconstruire hors de l’existence ». Sans commentaires.
Suontaka : un bien curieux « viking non-binaire »
Défaits, les « archéologues queer » vont à leur tour se mettre au travail, et découvrir deux ans plus tard précisément ce qu’ils cherchaient : un viking non-binaire. Leur article semble une mauvaise copie de celui de Birka : mêmes interprétations prises pour preuves et conclusions très politiques, mais ici plus éhontées, et sans même le souci de tenir un raisonnement cohérent.
Signé principalement par de jeunes doctorants et post-doctorants, cet article commence par un long rappel de la notion de « genre ». On insiste sur le fait que les hommes du Moyen-Âge sont plus « gender-fluid » qu’on le dit, à l’appui d’autres « travaux » militants14. Les restes étudiés seront ceux d’une une tombe du Xe siècle sise à Suontaka (Finlande), où on a retrouvé, près du squelette, à la fois des parements de femme et une épée.
La tombe « partiellement détruite » a été violée dès le Moyen-Âge et une autre épée placée à l’intérieur. Le squelette, retrouvé très dégradé, manque presque entièrement : il n’en reste que deux têtes d’humérus en mauvais état. Les auteurs admettent que même avec des techniques d’ADN ancien, la qualité des résultats est mauvaise : à peine suffisante pour déterminer le nombre de chromosomes X et Y. Ces résultats ne seraient cohérents ni avec le caryotype d’un homme (XY), ni celui d’une femme (XY) selon eux.
Les auteurs changent alors d’approche : ils font des hypothèses simplificatrices et simulent les résultats possibles dans quatre scénarios où le défunt aurait pour caryotype : XY, XX, deux os provenant de deux corps XX et XY, et enfin XXY (syndrome de Klinefelter). Ils constatent alors que les résultats correspondent à « 99,75 % » à leur modèle pour Klinefelter.
C’est un premier signal d’alarme : on peut tout faire dire à ce genre de modélisation auto-vérificatrice, pourvu qu’on choisisse des hypothèses ad hoc, surtout avec un échantillon aussi réduit et de qualité aussi basse. Mais comme nous n’avons aucun moyen de vérifier les données, soit. Notons qu’on ne discute même pas d’une potentielle contamination, alors même que la tombe a été violée et des objets vikings plus tardifs retrouvés à l’intérieur. L’habitude scandinave de jeter près des corps de vieux os humains grillés et réduits en poudre15, n’est pas non plus évoquée.
C’est là que le dérapage commence. Le syndrome de Klinefelter, peu fréquent (1 naissance sur 500) est asymptomatique dans la majorité des cas, quasi asymptomatique dans la plupart des autres. Seuls certains porteurs ont, très rarement, quelques traits androgynes (début de poitrine, organes sexuels de taille réduite…). Nos auteurs vont pourtant déduire d’une étude de 1990 affirmant ces cas « déjà très rares » ont « parfois » des « insécurités liées au genre » … la preuve de la non-binarité du défunt.
Cette « preuve » repose donc sur trois éléments : la présence d’une épée, d’une broche de femme, et un défaut ADN causant dans peut-être un cas sur un million un « trouble de genre » léger. On a vu plus haut que les deux premiers ne signifiaient rien ; et le troisième relève de la farce. Les auteurs, gênés, prennent d’ailleurs aussitôt le contre-pied : les « ressentis de genre » de 1990 et de l’an mil étant probablement différents, il est « difficile » de conclure. D’un, le problème n’est pas là, mais dans la faiblesse de leur démonstration. De deux, s’ils en doutent… pourquoi, dans toute la suite, traiter la non-binarité du défunt comme certaine ?
La suite est encore plus étrange. Une épée a été retrouvée posée contre le défunt : c’est donc « un symbole fort d’identité et de personnalité ». Mais la garde manque : elle a donc été enlevée pour rendre l’arme « inutilisable, moins violente ou agenre, si on suit la symbolique traditionnelle des épées. » Depuis quand retirer la garde d’une épée la rend « agenre » ? Quelle est cette curieuse « symbolique traditionnelle » inconnue mais jamais expliquée ? Mystère ! Mais comme précédemment, contre-pied immédiat en citant la seule hypothèse plausible « Sinon, il est possible que la poignée ait été faite de matière organique [et qu’elle ait pourri] ». C’est d’autant plus probable que tout dans la tombe a été dégradé, jusqu’aux os : mais là encore, les auteurs tenaient manifestement à insinuer une improbable non-binarité quitte à la rétracter aussitôt.
Toute la « preuve » de la non-binarité du défunt repose sur ces deux affirmations absurdes. Comme elles sont contredites sitôt après avoir été énoncées, les auteurs sont à l’abri de toute critique. Le jeu va consister à oublier ces réserves sitôt qu’on a fini de les écrire, et raisonner par la suite comme si elles étaient certaines.
Résumons la suite : Klinefelter « prouve » que le défunt était non binaire. L’épée sans garde « prouve » que les gens qui l’ont enterré le savaient, mais qu’ils l’ont quand même considéré comme un guerrier, « respecté » même au vu des riches ornements retrouvés autour de lui. Les auteurs en concluent tranquillement que la tombe de Suontaka peut être « vue comme la preuve (sic) que la non-binarité était très valorisée et visibilisée » dans la Scandinavie du Xe siècle.
Tout doute a miraculeusement disparu. On a bien sûr multiplié auparavant les conditionnels et les « contre-pieds », mais visiblement de pure forme, car on raisonne ensuite comme s’ils n’existaient pas. Au point d’évacuer le contexte historique : les cultures scandinaves médiévales semblent avoir été tout sauf queer-friendly. Un recueil de lois contemporain16 cite « efféminé » (« ragr ») parmi les trois injures qui valent duel immédiat. Mieux, si l’offensé ne relève pas l’insulte, la preuve de son absence de virilité est jugée faite : il est aussitôt banni et chacun est libre de le tuer.
Mais qu’importe ? L’essentiel est que la thèse des « cultures anciennes LGBT-friendly » ait été « prouvée par la science ». La presse internationale de gauche s’empare aussitôt de la nouvelle : la NPR, The Guardian… fait étonnant, même le pourtant conservateur Figaro s’y laisse prendre. L’engouement est cependant bien moins fort que pour Birka. C’est que Niel Price a volé la vedette aux auteurs, en annonçant un an plus tôt aux médias l’existence de Vikings non-binaires, sur la seule base… de son intime conviction17. La concurrence est rude chez les chercheurs wokes : fabuler ne suffit pas, il faut encore avoir des titres universitaires suffisants pour que les journalistes s’intéressent à vous.
Les auteurs auront tout de même l’occasion de faire un peu de propagande LGBT+ auprès des mineurs : deux d’entre eux seront sollicités par un journal éducatif américain. Écrit pour des élèves de cours élémentaire, leur article de vulgarisation reprend pas à pas la « découverte » de Suontaka dans une jolie infographie en couleur : c’est un prétexte pour apprendre aux enfants à « indiquer ses pronoms » et devenir « un allié des non-binaires ».
L’existence d’un « respecté » guerrier viking non-binaire montre bien que l’identité sexuelle n’est pas naturelle mais une « norme sociale », un « stéréotype » à abolir. « C’est vrai aujourd’hui comme dans le passé », concluent les auteurs ! Somptueuse ironie, quand on vient de les surprendre à faire mentir l’Histoire pour justifier les idéologies du présent.
(Mikhaïl Kostylev est le faux-nez post-soviétique et bavard de Guillaume Pronesti)