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En finir avec le wokisme : chronique de la contre-offensive anglosaxonne.

Compte-rendu de lecture du livre de Sylvie Pérez, En finir avec le wokisme. Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne, Paris, Le Cerf, 2023, 366 pages. 24,50€

En finir avec le wokisme : voilĂ  une bonne rĂ©solution et un programme sĂ©duisant, qui fera certainement consensus parmi les membres et les sympathisants de l’Observatoire des idĂ©ologies identitaires, en attendant – et en espĂ©rant – que cet impĂ©ratif s’impose comme un volet indispensable de toute candidature politique rĂ©publicaine. Ce livre Ă©pais et très documentĂ© raconte la manière dont les pays anglo-saxons (Canada, États-Unis et Angleterre), premiers touchĂ©s par le wokisme, organisent la contre-offensive Ă  ce qui est devenu un tsunami. Comme la France subit la vague avec quelques annĂ©es de dĂ©calage, Sylvie PĂ©rez propose de s’inspirer de ces initiatives pour l’endiguer. Le livre est simultanĂ©ment l’occasion de mesurer et de dĂ©noncer le dĂ©lire woke, dictature de l’absurde gouvernĂ©e par des incultes chatouilleux. C’est pourquoi, avant de dĂ©crire la rĂ©sistance au mouvement, c’est l’occasion de revenir sur ses origines et ses effets.

Un premier constat se dessine au fil des pages : les militants wokes se battent contre des ennemis chimĂ©riques, sans remĂ©dier en rien aux rĂ©els problèmes – pire, en les aggravant. Leur but affichĂ© est de dĂ©truire les structures des sociĂ©tĂ©s occidentales – prĂ©tendument gangrenĂ©es par le racisme, le colonialisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie – et de faire pression sur les institutions pour imposer un nouveau langage, de nouvelles lois, et par ce moyen, refaçonner le rĂ©el et faire advenir un monde rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©. La doctrine woke est fondĂ©e sur trois piliers : dĂ©colonialisme, racialisme et thĂ©orie du genre, tous trois illustrĂ©s par de multiples exemples. Ainsi, en 2019, le MusĂ©e d’Amsterdam abandonne l’expression « Siècle d’Or Â» de ses cartels, en arguant que la prospĂ©ritĂ© hollandaise d’alors Ă©tant fondĂ©e sur l’esclavage, son formidable rayonnement culturel est dĂ©sormais objet de honte. Ă€ Cambridge en 2020, deux cents chercheurs et Ă©tudiants signent une pĂ©tition pour se plaindre que les 450 plâtres du MusĂ©e archĂ©ologique soient blancs, suscitant la repentance de l’administration. Ă€ Leeds en 2018, un mĂ©morandum recommandait aux professeurs de journalisme de ne pas utiliser de lettres capitales pour ne pas traumatiser les Ă©tudiants, car ce sont des symboles hiĂ©rarchiques intimidants. Etc., etc.

Ce mouvement joue sur la culpabilisation systĂ©matique et utilise des arguments irrĂ©futables : si vous pensez n’être pas raciste, c’est que vous l’êtes. Comme l’explique un article (« Unmasking Racial Micro-agressions Â»), « ce type de racisme est si subtil que ni la victime ni l’auteur du propos incriminĂ© ne peuvent comprendre ce qui est en jeu Â». Dès lors, le nouvel antiracisme lutte en prioritĂ© contre le racisme inconscient : l’UCAS, organisation universitaire, publie en 2016 un rapport sur les biais inconscients (Unconscious Bias Report) recommandant Ă  chacun de suivre une formation pour identifier son racisme inconscient. Certains, en France, suivent cet exemple : en avril 2019, l’UNEF invitait, dans ses Assises contre le racisme, Ă  « dĂ©construire les schĂ©mas de domination raciste, conscients ou inconscients Â». John McWorther (Woke Racism, 2021), dĂ©nonce ce nouvel antiracisme et qualifie a contrario le best-seller de Robin diAngelo, White Fragility (2018),de « tract raciste Â». En effet, le nouvel antiracisme promeut une discrimination inversĂ©e, pudiquement nommĂ©e « discrimination positive Â», seule manière selon le gourou Ibram X. Kendi de rĂ©parer la sĂ©grĂ©gation dont les Noirs furent longtemps victimes. Ainsi, en aoĂ»t 2022, le dĂ©partement d’éducation de l’Ontario publie une liste de postes rĂ©servĂ©s « aux Noirs et aux racisĂ©s Â». Parmi une quarantaine d’universitĂ©s, l’UniversitĂ© de Columbia organise des remises de diplĂ´mes sĂ©parĂ©es, Multicultural Graduation Celebrations, pour les diffĂ©rentes communautĂ©s : LGBT, boursiers (histoire de parquer les pauvres ensemble), Noirs, Indiens d’AmĂ©rique, prĂ©textant offrir une expĂ©rience aux Ă©tudiants « qui s’auto-identifient de diverses façons Â». Au Centre d’Art Dramatique d’Harvard, une reprĂ©sentation de Macbeth est rĂ©servĂ©e aux Noirs lors d’une soirĂ©e intitulĂ©e blackout, magnifique « antiphrase woke Â». Au Multicultural Student Center de UniversitĂ© de Virginie Ă  Charlottsville (inaugurĂ© en fĂ©vrier 2020), les Blancs sont exclus au nom de l’inclusivitĂ©.

Dans cette doctrine contradictoire et irrationnelle de part en part, la thĂ©orie du genre est le domaine oĂą le dĂ©ni de rĂ©alitĂ© et la crĂ©ation d’un monde parallèle atteignent des sommets. Les transactivistes, qui constituent une infime minoritĂ©, exigent que le monde entier soit pensĂ© Ă  travers leurs catĂ©gories renversĂ©es : le mot « femme Â» est devenu insultant (il faut dire personne menstruĂ©e, personne avec utĂ©rus), l’anus est un « vagin universel Â» (Andrea Long Chu), les filles peuvent avoir un pĂ©nis (girldick). Rose of Dawn, jeune transfemme britannique qui bascule du cĂ´tĂ© des hĂ©rĂ©tiques quand elle dĂ©nie l’existence de « trigenres Â» ou de « moon-gender Â», tout comme la youtubeuse lesbienne Arielle Scarcella : « Je ne crois pas qu’il y ait 97 genres. La communautĂ© LGBT est un refuge de gens mentalement instables qui ne cherchent pas Ă  ĂŞtre aidĂ©s Â». L’ouvrage contient de vĂ©ritables perles de non-sense que Ionesco n’eĂ»t pas reniĂ©es : « Un trans-homme accouche après utilisation d’un don de sperme fĂ©minin Â», titrait Sky News le 29 dĂ©cembre 2019. Le remodelage du langage va bon train : le mot woman contenant le mot man, il faut l’orthographier wom*n ou womxn ; le terme history est remplacĂ© par herstory, pour dĂ©signer l’histoire des femmes. HĂ©las, la France n’est pas en reste : le mot matrimoine s’est imposĂ© aux cĂ´tĂ©s de patrimoine, en dĂ©pit de son sens originel (relatif au mariage) ; on trouve Elle Ă©tait une fois au lieu de Il Ă©tait une fois, et l’AcadĂ©mie des Molières dĂ©cerne depuis 2021 le Molière de « l’auteur.trice francophone vivant.e Â».

Le problème est que cette novlangue a pĂ©nĂ©trĂ© les institutions des deux cĂ´tĂ©s de l’Atlantique : en Angleterre, le National Health Service invite « toutes les femmes et les gens ayant un utĂ©rus, âgĂ©s de 25 Ă  64 ans, Ă  faire rĂ©gulièrement un frottis de dĂ©pistage du cancer Â». Pour s’être Ă©tonnĂ©e de cette formulation, une dĂ©putĂ©e travailliste a subi une campagne de haine. Plus cynique, le patron du parti centriste dĂ©mocrate, Sir Ed Davey, Ă  la question « pensez-vous que les femmes puissent avoir un pĂ©nis ? Â», a rĂ©pondu « Ă‰videmment ! Â» (mai 2023). En Angleterre, les autoritĂ©s municipales donnent des consignes aux Ă©coles entĂ©rinant de facto la thĂ©orie du genre. La très onĂ©reuse Ă©cole de filles Saint-Paul de Londres a ainsi supprimĂ© l’utilisation du mot « fille Â» pour ne pas offenser. Il n’est jamais trop tĂ´t pour commencer le conditionnement mental : Ă  l’âge de quatre ans, l’instituteur apprend aux enfants Â« Le genre est comme l’espace ; il y a autant de façons d’être genrĂ© que d’étoiles dans le ciel Â». Dans l’Oregon, les Ă©coles maternelles imposent de parler de « personne Ă  vulve Â» et « personne avec un pĂ©nis Â» pour ne pas dire « femme Â» et « homme Â». Quant aux Ă©coles Ă©lĂ©mentaires, elles initient Ă  la morphologie gĂ©nitale (vulve, pĂ©nis, vagin) et au jargon transactiviste (pansexuel, asexuel, queer). Outre-Atlantique, Joe Biden a pris une sĂ©rie de mesures pour gĂ©nĂ©raliser les thĂ©rapies d’affirmation de genre (gender-affirming care), promettant de contrecarrer les dĂ©cisions des États rĂ©calcitrants ; sa secrĂ©taire adjointe Ă  la santĂ© (une trans) explique en quoi ces soins sont indispensables au bien-ĂŞtre des enfants. Sur ce plan aussi, la France suit aveuglĂ©ment le modèle anglo-saxon : le 30 septembre 2021, le ministre Blanquer publie une circulaire « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives Ă  l’identitĂ© de genre Ă  l’école Â», invitant Ă  « porter une attention particulière aux Ă©lèves transgenres Â», cette attention consistant Ă  les encourager Ă  changer de prĂ©nom sans en rĂ©fĂ©rer Ă  leurs parents. Sylvie PĂ©rez rappelle l’irresponsabilitĂ© des adultes qui favorisent les transitions de mineurs – la transition sociale entraĂ®nant souvent la transition hormonale puis chirurgicale, Ă  un âge oĂą l’intĂ©ressĂ© est incapable de mesurer les consĂ©quences de son geste. Mais que faire contre une industrie si florissante, dont le chiffre d’affaires est Ă©valuĂ© Ă  5 milliards de dollars d’ici 2030 ?

Le mouvement cache de moins en moins son sectarisme et sa tentation totalitaire. Le recours Ă  l’intimidation et au harcèlement est proportionnel Ă  l’absurditĂ© des propositions auquel il s’agit de convertir les rĂ©calcitrants. Le refus du dĂ©bat est consubstantiel Ă  cette idĂ©ologie, comme le montre le slogan « my rights are not up for debate Â». Les victimes de cette doctrine sont lĂ©gion, qui ont perdu leur emploi pour avoir prononcĂ© un mot interdit, avoir vantĂ© le mĂ©rite dans l’éducation ou la compĂ©tence dans l’entreprise, ou, pire encore, avoir osĂ© doutĂ© de l’utilitĂ© des sĂ©minaires de rĂ©Ă©ducation « diversitĂ© et inclusion Â» – et ces victimes comptent aussi des femmes, des Noirs, des homo- et des transsexuels, populations prĂ©tendument protĂ©gĂ©es par le mouvement. En effet, la course Ă  la puretĂ© n’a jamais de fin, et les luttes internes au mouvement woke se traduisent par un Ă©clatement dont tĂ©moigne l’acronyme LGBTQQIAAPPO2S (Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, Queer, Questioning, Intersex, Ally, Asexual, Pansexual, Polyamory, Omnisexual, and Two-Spirit). La pulvĂ©risation menace de l’emporter sur la convergence des luttes. Esprit rĂ©volutionnaire oblige, le vieux dicton « On ne fait pas d’omelette sans casser des Ĺ“ufs Â» a trouvĂ© une nouvelle actualitĂ©. Ainsi Sandra Muller, qui a faussement accusĂ© un homme de l’avoir harcelĂ©e pour lancer son hashtag #balancetonporc, dĂ©clara : « Ă‰videmment, le risque de mettre en l’air, Ă  tort, la vie d’un homme me navre, et il peut y avoir des dommages collatĂ©raux. Mais le bienfait du mouvement est tellement important ! Â».

En outre, rappelle Sylvie PĂ©rez, nombre de ces ligues de vertu se sont rendues coupables de corruption et de dĂ©tournement d’argent, preuve, s’il en fallait, qu’ils ne sont pas intĂ©ressĂ©s par le sort des opprimĂ©s, mais par le pouvoir et la dĂ©molition de l’Occident. Ainsi, le pactole de 80 millions de dollars reçu par l’association Black Lives Matters en 2020-2021 a Ă©tĂ© en partie dĂ©tournĂ© pour l’achat d’une luxueuse villa, tandis qu’une autre partie (2,6 millions) a financĂ© des associations transgenre. La diversitĂ© est devenue un business aux mains de « diversicrates Â» de tout poil, qui s’enrichissent des gĂ©nĂ©reuses subventions, tant publiques que privĂ©es. Les entreprises Ă©tats-uniennes consacrent chaque annĂ©e huit milliards de dollars en diversity trainings, et Google a investi 150 millions dans ces programmes en 2015, alors mĂŞme que de très sĂ©rieuses Ă©tudes ont prouvĂ© leur inefficacitĂ©, voire leur nocivitĂ©.

Dernière touche Ă  ce sombre tableau, les diktats wokes s’imposent aux populations au moyen d’un dĂ©ni de dĂ©mocratie. L’exemple des Principes de Jogkarta, analysĂ© en dĂ©tail, en fournit une Ă©clatante illustration : cette dĂ©claration sur « l’application de la lĂ©gislation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identitĂ© de genre Â», conçue par vingt-neuf fonctionnaires internationaux membres d’associations LGBT en 2007 et complĂ©tĂ©e en 2017, entĂ©rine le changement anthropologique prĂ©conisĂ© par les activistes : l’identitĂ© de genre y est dĂ©finie comme l’« expĂ©rience intime et personnelle du sexe faite par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe assignĂ© Ă  la naissance Â». Cette dĂ©claration prescrit aux États un certain nombre d’« obligations Â» et dĂ©crète un « droit Ă  la reconnaissance juridique Â» autorisant toute personne Ă  modifier « les informations de genre Â» la concernant sur ses documents d’identitĂ©. Cette dĂ©claration, une fois prĂ©sentĂ©e Ă  l’ONU, intĂ©gra le droit international, puis le droit europĂ©en, enfin les lĂ©gislations nationales, en dehors de tout contrĂ´le dĂ©mocratique. Ainsi « la transformation civilisationnelle se produit par capillaritĂ© Â», et les nouvelles mesures conçues par un lobby spĂ©cifique se voient imposĂ©es Ă  tous et reconnues comme un droit humain essentiel.

Cependant, l’essentiel du livre s’attache Ă  dĂ©crire la rĂ©sistance au mouvement woke, portĂ©e par des personnalitĂ©s hors du commun que, pour beaucoup, l’auteur a rencontrĂ©es et interrogĂ©es. Outre-Atlantique, les premiers rĂ©sistants se sont jetĂ©s dans la bataille au milieu des annĂ©es 2010 : en 2016, le Jordan Peterson s’engage contre la dĂ©cision de Trudeau de rĂ©former le Canadian Human Rights Act en ajoutant deux catĂ©gories Ă  protĂ©ger des discriminations et des discours de haine, les Canadiens transgenres et les Canadiens sans genre dĂ©fini. Cette loi quasi constitutionnelle est parmi les premières Ă  intĂ©grer les notions d’identitĂ© de genre et d’expression de genre. Si Peterson a perdu la bataille, il n’a pas perdu la guerre, et la chaĂ®ne de ce professeur de psychologie jouit d’un Ă©norme succès, tout comme ses confĂ©rences Ă  travers les États-Unis. Parmi ces personnalitĂ©s, beaucoup ont fait l’objet de telles pressions qu’elles ont dĂ» dĂ©missionner de leur poste Ă  l’universitĂ© : Bret Weinstein, chassĂ© d’Evergreen oĂą il risquait sa peau pour s’être opposĂ© Ă  une « journĂ©e sans blancs Â» sur le campus ; Peter Boghossian, qui a dĂ©missionnĂ© de l’universitĂ© d’État de Portland (Oregon), devenue selon lui un laboratoire de l’utopie Ă©galitaire ; Kathleen Stock, lesbienne, auteur de Material Girls (2021) et victime de harcèlement pour avoir rappelĂ© la rĂ©alitĂ©  biologique du sexe. D’autres militent infatigablement contre la folie woke : John McWorther et Glenn Loury, tous deux Noirs, animent le Glenn Show sur les questions raciales.

La première forme de rĂ©sistance est donc intellectuelle, et nombre d’universitaires prennent la plume pour dĂ©montrer l’ineptie et les ravages de la dictature woke : John McWorther, dans Woke Racism. How a New Religion Has Betrayed Black America (2021), dĂ©nonce le racialisme comme un nouveau racisme ;  Joanna Williams, dans Academic Freedom in an Age of Conformity (2016), s’alarme de l’érosion de la libertĂ© acadĂ©mique sur les campus du monde entier ; Ben Cobley, dans The Tribe : the Liberal Left and the System of Diversity (2018), montre comment le rĂ©gime diversitaire a mis en place système de castes, oĂą les parias sont les mâles blancs hĂ©tĂ©rosexuels ; Jason Riley, auteur afro-amĂ©ricain, publie Please Stop Helping Us (2016), affirme que la discrimination positive en faveur des Noirs les handicape au lieu de les aider. Quant Ă  James Lindsay, il a rĂ©alisĂ© une encyclopĂ©die en ligne : Translations from the Wokish : a Plain-Language Encyclopedia of Social Justice Terminology, comptant500 entrĂ©es. Il donne cette dĂ©finition de « DĂ©coloniser : « s’applique Ă  tous les secteurs de la sociĂ©tĂ© et consiste Ă  en effacer tout vestige de la culture occidentale Â».

La deuxième forme de rĂ©sistance est directement politique. Contrairement au sĂ©nile Biden, plusieurs personnalitĂ©s politiques se sont dĂ©solidarisĂ©es d’une idĂ©ologie devenue sectaire : alors qu’il s’était engagĂ© dans les luttes progressistes pendant son mandat, Obama condamna le wokisme en 2019, dĂ©nonçant « cette idĂ©e de puretĂ©, ce refus du compromis, cette volontĂ© d’être woke en toutes circonstances Â» car « le monde est complexe, plein d’ambiguĂŻtĂ©s, et les gens bien ont des failles Â». En 2020, Kemi Badenoch, ministre britannique chargĂ©e des ÉgalitĂ©s, Ă©levĂ©e en Afrique, prononce un discours contre la ThĂ©orie Critique de la Race comme un racisme inversĂ© et invoque Martin Luther King. Un an plus tard, le gouvernement britannique a rĂ©siliĂ© son contrat avec la firme Stonewall, dont le programme de consulting intitulĂ© « Champion de la diversitĂ© Â» endoctrinait les enfants dès l’âge de deux ans. Sans surprise, le parti conservateur est plus enclin Ă  s’engager dans la contre-offensive : en 2020, le Reclaim Party est fondĂ© par Laurence Fox, comĂ©dien Ă  la carrière brisĂ©e pour avoir dit que l’Angleterre Ă©tait un beau pays et affirmĂ© : « Ces accusations de racisme, Ă§a devient lassant Â». En mai 2021, le Common Sense Group (CSG), coalition de soixante parlementaires tories, publie un manifeste intitulĂ© « Common Sense Â», dans l’intention de stopper la contagion woke et de renouer avec le dĂ©bat. En 2022, Rishi Sunak, premier ministre du Royaume Uni, promettait de rĂ©former ce « cheval de Troie qui a permis au non-sens woke de pĂ©nĂ©trer la vie publique Â». En revanche, le parti travailliste est très divisĂ© sur le sujet ; rĂ©gulièrement, un de ses partisans quitte le mouvement avec fracas, dĂ©nonçant l’intolĂ©rance woke. De mĂŞme, le britannique Dave Rubin dont la vidĂ©o « Why I Left the Left Â» a Ă©tĂ© vue plus de seize millions de fois.

La troisième forme de rĂ©sistance est juridique : en Grande-Bretagne, le climat de dĂ©lation a dĂ©terminĂ© le vote d’une loi sur la libertĂ© acadĂ©mique : Higher Education (Freedom of Speech) Bill puis Act, votĂ© en mai 2023, exige des universitĂ©s qu’elles promeuvent la libertĂ© d’expression. Aux États-Unis, le 29 juin 2023, la Cour SuprĂŞme se prononce contre la discrimination positive, assigne l’universitĂ© d’Harvard en justice pour discrimination envers les Ă©tudiants asiatiques, fortement lĂ©sĂ©s par l’objectif d’augmenter le nombre d’étudiants noirs. Nombre d’organisations soutenant les personnes harcelĂ©es ou licenciĂ©es pour crime de pensĂ©e les aident Ă  affronter les tribunaux, tel le Free Speech Union (FSU) de Toby Young, ou l’ONG Index on Censorship, crĂ©Ă©e en 1972 pour diffuser Ă  l’Ouest les travaux des dissidents de l’Est, et rĂ©cemment reconverti pour lutter contre la censure occidentale. L’ONG gagne en 2021 le procès de Maya Forstater, comptable licenciĂ©e pour avoir Ă©crit sur twitter que le sexe biologique Ă©tait une rĂ©alitĂ©.

La quatrième forme est institutionnelle : pour lutter contre l’endoctrinement universitaire, plusieurs universitĂ©s libres se sont crĂ©Ă©es : Renegade University, fondĂ©e par Thaddeus Russell pour garantir la libertĂ© acadĂ©mique, compte mille Ă©tudiants et propose vingt modules de cours. L’UniversitĂ© d’Austin Texas (UATX), crĂ©Ă©e en 2021, obĂ©it Ă  trois principes : l’humilitĂ© intellectuelle, le respect de la dignitĂ© d’autrui, l’ouverture d’esprit sur la quĂŞte de la vĂ©ritĂ©. Une session d’étĂ© a Ă©tĂ© inaugurĂ©e en 2022, intitulĂ©e forbidden courses et portant sur les sujets Ă©pineux. Peter Boghossian, Dorian Abbott et Kathleen Stock, chassĂ©s de leurs universitĂ©s respectives, y enseignent dĂ©sormais.

Le quatrième type de rĂ©sistance consiste Ă  informer les citoyens par le biais d’associations qui interviennent dans l’espace public. Plusieurs organisations se sont ainsi crĂ©Ă©es en rĂ©ponse Ă  la rĂ©gression du droit des femmes entraĂ®nĂ©e par la prĂ©sence de « femmes Ă  pĂ©nis Â» – fussent-ils des violeurs psychopathes – dans les prisons pour femmes et dans les compĂ©titions sportives fĂ©minines : UKWomen, Sex Matters (sur le modèle de Black Lives Matter), ou encore Standing for Women, qui a placardĂ© Ă  Liverpool un grand panneau arborant la dĂ©finition taboue : « Woman, noun, adult human female Â», dĂ©finition aussitĂ´t taxĂ©e de « message de haine dangereux pour la sĂ©curitĂ© des trans-femmes Â». D’autres d’associations, de plus en plus nombreuses, regroupent les parents d’enfants victimes de l’idĂ©ologie transgenre : 4thWaveNow (2015), Transgender Trend (2015), Our Duty (2018). La mobilisation de ces associations a permis la fermeture du service de chirurgie de la clinique Tavistock, saisie par un millier de familles. D’autres sites font entendre la voix des dĂ©transitionneurs, comme Post-Trans ou Transitionjustice.org, qui propose une aide aux victimes de la mĂ©decine transgenre. Concernant le racialisme, le site criticalrace.org (2021) documente l’adhĂ©sion des diffĂ©rentes universitĂ©s Ă  la ThĂ©orie Critique de la Race et son infiltration dans les Ă©coles. La Foundation Against Intolerance and Racism (FAIR, crĂ©Ă©e en 2018), « ne s’intĂ©resse qu’à une race : la race humaine Â». L’association Don’t Divide US (DDU, 2020), nĂ©e après la mort de George Floyd, rĂ©unit ceux qui s’inquiètent des menaces pesant sur la cohĂ©sion de la sociĂ©tĂ© britannique ; elle est dirigĂ©e par une indienne, Alka Seghal Cuthbert. Quant au versant dĂ©colonial, le projet 1776 Unites (« 1776 nous unit Â») rĂ©pond au Projet 1619 (lancĂ© en 2019 par le New York Times), qui choisissait pour point de dĂ©part de l’histoire des États-Unis l’arrivĂ©e du premier bateau d’esclaves, et non la dĂ©claration d’indĂ©pendance. Le site History Reclaimed, fondĂ© en 2021 par Robert Tombs, professeur d’histoire Ă  Cambridge, lutte contre la falsification de l’histoire par les dĂ©colonialistes.

D’autres se mobilisent pour dĂ©fendre la libertĂ© acadĂ©mique et le droit d’aborder tous les sujets Ă  l’universitĂ© : le harcèlement subi par Kathleen Stock Ă  l’universitĂ© de Sussex (Royaume-Uni) a suscitĂ© le Gender Critical Academia Network, qui dĂ©fend la libertĂ© des chercheurs de critiquer la thĂ©orie du genre. L’Heterodox Academy (HxA), plateforme collaborative fondĂ©e par Jonathan Haidt en 2015, regroupe 5400 chercheurs dont Mark Lilla ; elle incite Ă  lutter contre le conformisme et Ă  avoir le courage de ses opinions. La Foundation for Individual Rights in Education (FIRE) est devenue Foundation for Individual Rights in Expression en 2022.L’Association for Academic Freedom (AFAF), fondĂ©e en 2006 par deux professeurs, dont Dennis Hayes, publie rĂ©gulièrement un Ă©tat des lieux de la censure, the Banned List. Au Canada, la Society for Academic Freedom and Scholarship (SAFS), fondĂ©e en 2020, documente les dĂ©rives identitaires. Les Free Speech Champions (depuis 2021) recrutent des ambassadeurs de la libertĂ© d’expression pour tisser un rĂ©seau en Grande-Bretagne.

La liste est loin d’être exhaustive, mais elle donne une idĂ©e du foisonnement d’initiatives et illustre la vitalitĂ© de la rĂ©sistance au wokisme dans les pays les plus atteints. Sylvie PĂ©rez ne se contente pas d’inventorier toutes ces actions ; elle analyse les contradictions du discours woke dans un style enlevĂ©, Ă©maillĂ© de jolies formules, comme « La translouve dans la cisbergerie Â» ; « Ă€ l’universitĂ©, je pense donc je nuis Â», et de mĂ©taphores inspirantes : « Le site History Reclaimed contribue Ă  dĂ©samorcer les mines wokes sur le champ de bataille qu’est devenue l’histoire Â» ; « Il ne faut plus dire ce que l’on voit, mais voir ce que l’on dit Â». J’émettrais une seule rĂ©serve : elle omet de signaler que la contre-offensive peut parfois aller trop loin, jusqu’à imiter les wokes, succombant Ă  la tentation du harcèlement et de la censure. Bill Eigel, sĂ©nateur du Missouri, a ainsi dĂ©clarĂ© : « si vous apportez des livres wokes et pornographiques dans les Ă©coles du Missouri pour essayer de laver le cerveau de nos enfants, je les brĂ»lerai. Â» Sylvie PĂ©rez cite Raymond Aron : « L’intolĂ©rance est une maladie contagieuse car elle contamine toujours ceux qui la combattent Â», et cette pensĂ©e doit plus que jamais nous servir de garde-fou.

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Emmanuelle HĂ©nin