La gauche n’est pas woke !

La gauche n’est pas woke !

Laurent Joffrin

« On peut être de gauche et avoir une bonne droite ». Laurent Joffrin est le créateur du nouveau Média « Le Journal ».
Quand on est de droite, on fait sans difficulté campagne contre le wokisme. C’est logique, et même de bonne guerre : les outrances de certains militants permettent de ridiculiser sur la place publique, par amalgame, l’ensemble des idées progressistes. Du nanan pour les conservateurs… Mais quand on est de gauche ? Soyons francs : l’affaire se complique. Tactiquement, on mêle sa voix à un camp dont on ne partage en rien les idées. Risque de confusion. Et sur le fond, on attaque un mouvement qui prospère, entre autres, à cause des très réelles discriminations qui frappent certaines « minorités visibles », ou bien, par exemple, en raison des injustices et des violences faites aux femmes par le machisme ambiant. En dénonçant ce militantisme « woke », même pour de bonnes raisons, on risque de sous-estimer la juste colère des victimes de racisme ou de sexisme, ce qui n’est évidemment pas le but recherché.

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La gauche n’est pas woke !

Quand on est de droite, on fait sans difficulté campagne contre le wokisme. C’est logique, et même de bonne guerre : les outrances de certains militants permettent de ridiculiser sur la place publique, par amalgame, l’ensemble des idées progressistes. Du nanan pour les conservateurs…

Mais quand on est de gauche ? Soyons francs : l’affaire se complique. Tactiquement, on mêle sa voix à un camp dont on ne partage en rien les idées. Risque de confusion. Et sur le fond, on attaque un mouvement qui prospère, entre autres, à cause des très réelles discriminations qui frappent certaines « minorités visibles », ou bien, par exemple, en raison des injustices et des violences faites aux femmes par le machisme ambiant. En dénonçant ce militantisme « woke », même pour de bonnes raisons, on risque de sous-estimer la juste colère des victimes de racisme ou de sexisme, ce qui n’est évidemment pas le but recherché.

Il est une solution à ce dilemme : montrer qu’il n’est nul besoin de souscrire aux théories qu’on réprouve pour lutter contre les injustices dont elles se nourrissent. Laissons de côté le terme « woke », confisqué par la droite et source de dénonciations sommaires et confuses. Distinguons les différentes branches de ce militantisme nouveau. On voit, dès lors, que le bon vieil universalisme issu des Lumières donne une base philosophique solide et suffisante à la lutte contre des maux justement dénoncés. À condition d’en tirer toutes les conséquences. 

Faut-il adopter les thèses décoloniales pour lutter contre ce racisme pour partie hérité du colonialisme ? Non : même si ces études mettent à jour de réelles filiations, nous obligent à réviser la lecture de l’histoire, à changer le regard porté par l’Occident sur sa propre responsabilité, elles ont l’immense défaut d’enfermer les minorités dans une éternelle posture victimaire, de racialiser dangereusement les rapports entre citoyens, d’alimenter une vision communautaire – ou communautariste – des relations sociales dans la République. Alors que le principe d’égalité, s’il est poussé dans toutes ses conséquences, s’il dépasse la simple égalité des droits pour se soucier de l’égalité des conditions, suffit à fonder le combat. Oui, les minorités, en dépit des progrès accomplis, sont encore opprimées : c’est le devoir de tout républicain conséquent d’en faire l’objet d’une lutte politique constante et opiniâtre. Nul « wokisme » n’est utile à cette réflexion. 

Même chose s’agissant des combats féministes. Le principe d’égalité condamne toutes les discriminations de salaires, toutes les différences indues dans les carrières. Il remet en cause, notamment, le partage inégal des tâches ménagères et permet de sanctionner sans faiblesse toute violence faite aux femmes. Nul besoin d’introduire, sur des bases théoriques contestables, une césure essentielle entre féminisme et « néo-féminisme », entre féminisme classique et intersectionnalité. C’est le même combat pour l’égalité qui continue, appliqué à des objets jusque-là moins pris en compte et qui aborde une étape nouvelle.  

Idem, enfin, pour le travail universitaire. Les études de genre, les études décoloniales, les réflexions sur la domination qui s’exerce subrepticement, au quotidien, contre certaines catégories ou certains groupes, ont toute leur place dans la recherche et l’enseignement. Mais nulle nécessité, en cette matière, de rejeter les autres courants de pensée, sauf à vouloir imposer aux universitaires une nouvelle doxa, introduite à coups d’interdictions et d’annulations, parfaitement contraire aux règles universelles de la pensée libre. La liberté de la recherche et de l’enseignement, principe indépendant des orientations idéologiques qui cohabitent à l’université, assure aux nouveaux courants leur place au soleil. Le reste est censure, agression, tyrannie intellectuelle, toutes choses que l’indépendance principielle de la critique et du savoir proscrivent radicalement. 

 Ainsi doit réagir la gauche, dont le rôle est d’assurer, dans la réalité sociale, l’application des principes universels de raison, de liberté et d’égalité. Abandonner ce point de vue, c’est rejoindre le dogmatisme des nouveaux censeurs et le sectarisme des extrêmes.  

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