Renée Fregosi est philosophe et politologue. Elle est également membre de Dhimmi Watch. Dans cet article, elle observe l’actualisation de l’antisionisme, à l’aune du wokisme et de l’islamisme.
Islamo-wokisme : les universités à l’avant-garde
Le wokisme, idéologie victimaire foncièrement anti-occidentale, nouvel avatar du tiers-mondisme, est apparu et s’est « développé sur les campus nord-américains vers la fin des années 2010, puis ayant rapidement atteint les mondes de la culture, de la politique et même de l’entreprise, n’a pas tardé à traverser l’Atlantique pour investir les pays européens.1 » En France, elle a aujourd’hui gagné de nombreuses universités. Comme on le sait, le monde intellectuel est un acteur important pour la conception et la diffusion des idéologies à l’offensive. Rien d’étonnant donc à voir le monde universitaire agité tout autant par l’islamisme de la nouvelle génération frériste2, que par le décolonialisme, le racialisme, le transgenrisme et autres identitarismes. Ce qui peut être plus surprenant de prime abord, c’est la convergence et la collusion entre ces deux types de mouvements, wokisme et islamisme.
Comment par exemple, des militants LGBTQ++ peuvent-ils sans frémir fonder un mouvement spécifique « Queers for Palestine » alors que les islamistes les persécutent, allant jusqu’à les assassiner des pires façons dans les attaques jihadistes ? Leurs banderoles ont pourtant été vues à Times Square à New-York et sur plusieurs campus lors de manifestations de soutien au Hamas après son épouvantable raid terroriste sur Israël le 7 octobre 2023. Les universités américaines — et parmi les plus prestigieuses comme Harvard, Stanford ou NYU – ont en effet une fois encore été à l’avant-garde des manifestations propalestinistes et nombre d’entre elles (comme Georgetown notamment) sous la pression d’organisations étudiantes wokistes, sont restées silencieuses devant les horreurs subies par les Israéliens. Les communiqués largement diffusés sur les réseaux sociaux évoquaient « la résistance palestinienne », « l’entière responsabilité d’Israël », cet « État colon, génocidaire et meurtrier3 ».
En France aussi, bien sûr, les universités ont bruissé des mêmes slogans 4 : dans un amphi de l’université Jean Jaurès à Toulouse, une banderole « Le Mirail soutien la résistance palestinienne !!! » a été déployée et des tags comme « Gaza s’étend la décolonisation a commencé » ont fleuri sur les murs. À Science Po, des affiches en hommage à Omri Ram, l’étudiant israélien passé par l’école l’an passé, qui a été tué lors de l’attaque du Hamas sur le festival de musique, ont été systématiquement recouvertes par des affiches d’appel à la manifestation pour « soutenir la Palestine ». Et à Paris 8 Saint-Denis, une réunion étudiante a été organisée « contre les crimes et l’oppression coloniale » (qu’Israël ferait peser sur « le peuple palestinien »).
C’est sans doute en effet la passion décoloniale qui est à l’œuvre ici, comme elle cimente solidement l’islamo-wokisme dans son ensemble. L’antisionisme propalistiniste s’est constitué à travers deux chaînes parallèles d’identifications : d’une part, du Palestinien à l’Arabe, au musulman, à l’immigré, à l’ex-colonisé prétendument néo-colonisé ; d’autre part, de l’Israélien usurpateur et colonisateur, menant « une guerre d’extermination du peuple palestinien », au Juif ennemi ancestral traditionnel des Arabes et des musulmans. Car l’idéologie wokiste rejoint également l’islamisme par sa dimension antisémite, en la reformulant notamment à travers la théorie du privilège dont les Juifs vont faire les frais.
L’antisionisme est un antisémitisme
L’antisionisme commence à reformuler la judéophobie ancestrale dans les pays arabes, à partir de 1917, lorsque la Déclaration Balfour préconise la création d’un foyer juif en Palestine. En 1947, avec la décision de l’ONU de la création de deux États (l’un juif, l’autre arabe) en Palestine mandataire, et plus encore à partir de 1964 avec la création de l’OLP sous le parrainage de l’URSS5, l’antisionisme propalestiniste va de plus en plus être l’expression de l’antisémitisme, devenu honteux, voire délictueux après la Shoah.
Or, comme l’explique Georges Bensoussan 6, le mouvement des Arabes de Palestine contre le renforcement du yichouv (les Juifs déjà présents sur les terres ancestrales d’Israël) par l’immigration juive sous l’impulsion sioniste, s’est islamisé dès les années 1920. Le grand mufti de Jérusalem Amin al-Husseini dont l’antisémitisme est chevillé au corps, comprend, à cette époque, que la nation au sens moderne du terme n’est pas susceptible de fédérer les Arabes contre la présence juive dans la région. Les sociétés arabes, musulmanes à près de 90%, essentiellement rurales et massivement analphabètes, sont, en revanche, susceptibles d’être organisées politiquement à travers l’islam. La confrérie des Frères musulmans, fondée en 1928 par l’Égyptien Hassan al-Banna dont la visée est mondiale, apporte alors un instrument précieux de structuration du mouvement.
Puis, à travers le rapprochement entre Sayyid Qutb, principal prédicateur frériste et Navvab Safavi, prosélyte du chiisme politique, s’opère dans les années 1950 un renversement qui sera fondamental : « La question palestinienne [n’est plus] nationale arabe, mais une question islamique 7». En 1987, la création du Hamas (organisation d’émanation frériste) renforce le glissement entre panarabisme et panislamisme (selon l’expression de Georges-Elia Sarfati 8) et lie plus étroitement encore les dimensions religieuse, nationale et complotiste de cet antisémitisme arabe (l’article 32 de la charte du Hamas fait même référence au texte délirant Les protocoles des sages de Sion 9).
Articulé à la défense de la « cause palestinienne », l’antisionisme réinvestit l’interdiction faite aux Juifs d’avoir un territoire national. En effet, de la pax romana effaçant les noms du territoire des vaincus (Judée, Samarie, Galilée) pour les remplacer par Palestina, aux empires musulmans (califal et ottoman) instaurant la dhimma (statut de sujet inférieur soumis à des taxes, obligations et interdits spécifiques du fait de sa non-appartenance à la communauté musulmane 10), en passant par les interdits les touchant dans les royaumes chrétiens jusqu’à la constitution des États modernes qui les émanciperont, les Juifs ont été empêchés de posséder de la terre.
Pourquoi les Juifs ne mériteraient-ils donc pas de cultiver la terre et d’avoir un territoire national ? Sinon parce qu’ils devraient être punis pour leurs supposés crimes anciens (évoqués fréquemment dans le Coran et les hadiths) et récents (déjà évoqués dans la contre-argumentation belliciste de Hitler, et depuis la création de l’État d’Israël ressassés par la propagande victimaire propalestiniste). Le Juif demeure en effet l’exploiteur capitaliste et le financier « suceur du sang du peuple » de l’antisémitisme de gauche traditionnel, avec son versant complotiste de « maître du monde », mais il est devenu, de surcroit, colonialiste. Mondialiste après avoir été « cosmopolite », le juif n’est plus l’apatride, le « métèque », le « sang-mêlé », la « race inférieure » voire le « sous-homme » de l’antisémitisme raciste de jadis, mais devient au contraire le « super-blanc » dans une conception racialiste de la domination : suppôt de l’impérialisme américain, ancien supplétif des colons français et nouveau « colon » des « territoires occupés » (en fait « disputés », après que la Jordanie qui s’en était emparé en 1948 en a été chassée par la guerre des six jours en 1967).
L’antisionisme est aussi un populisme
L’antisionisme antisémite entre ainsi en congruence particulière avec le populisme justicialiste de droite et de gauche, croisant les deux formes de populisme : le socio-populisme (« contre les riches ») et le national-populisme (contre les étrangers et/ou l’impérialisme et/ou le mondialisme). La victimisation du peuple est en effet consubstantielle à l’affirmation de l’impunité des puissants et au prétendu « deux poids deux mesures » qui les favoriserait toujours. Parmi ces favorisés, les Juifs accusés de « profiter » de tout, y compris de la Shoah, occupent une place privilégiée en quelque sorte.
Populithème 11 puissant, la notion « d’impunité » joue dans le registre du misérabilisme, activant les sentiments négatifs du ressentiment et de la vengeance, et incite à l’émergence de justiciers, de redresseurs de tort. C’est dans cette logique que les attentats du 11 septembre 2001 ont pu donner lieu à des expressions de joie et à leur « compréhension » eu égard à l’humiliation prétendument subie par les populations musulmanes à travers le monde et tout particulièrement en Israël. On se souvient de Jean Baudrillard qui s’exaltait à « la jubilation prodigieuse de voir détruire cette superpuissance mondiale 12 » ou Jacques Derrida qui sous-entendait que les États-Unis avaient en quelque sorte provoqué les attentats par leur politique agressive à travers le monde et marquait une certaine admiration pour le choix hautement symbolique des cibles visées le 11 septembre 13. Argumentation de l’excuse qui s’est poursuivie de l’attentat contre Charlie en 2015 jusqu’à aujourd’hui. Sur les traces d’Edward Saïd qui estimait que les Palestiniens constituent « peut-être un peuple exceptionnel 14» (ce qui était involontairement ironique pour un peuple inventé sur le mythe de la nakba, et retournant sournoisement la notion de peuple élu), Noam Chomsky comparait les réactions occidentales à l’attentat contre Charlie à celles de « l’assaut vicieux d’Israël contre Gaza en 2014 15». Et tout récemment encore, le communiqué de LFI à l’Assemblée nationale excusait le raid assassin du Hamas sur le territoire israélien en affirmant que « L’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas intervient dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem Est 16».
Après l’attaque terroriste épouvantable lancée par le Hamas depuis la bande Gaza sur Israël le 7 octobre 2023, la gauche antisémite et la bien-pensance de la vision « équilibrée » n’ont en effet eu de cesse de rendre Israël responsable de ce qui lui arrive. Dans la logique imbécile selon laquelle une victime ne peut être un bourreau (et réciproquement), si Israël est puissant et que les Palestiniens en sont les victimes, toute la faute de l’antagonisme ne peut reposer que sur Israël. En 1968 (un an après la Guerre des Six jours gagnée par Israël), Jacques Vichniac écrivait déjà : « Les néo-antisémites ne veulent reconnaître Israël que s’il conserve en tant qu’État les constantes spécifiques négatives qui furent les siennes en tant que peuple : précarité, vulnérabilité, minorité, aliénation. Si Israël acceptait ces constantes, endossait les malheurs et la malédiction du Juif errant, ils iraient jusqu’à le plaindre, puisqu’aussi bien, en leur qualité d’hommes de gauche, ils ne marchandaient pas leur pitié aux Juifs persécutés. Du moment qu’Israël ne joue pas le jeu, c’est qu’il triche. Qu’il ait vaincu leur paraît proprement inconcevable. 17»
Avec la création de l’État d’Israël en effet, les Juifs luttaient les armes à la main, retrouvaient un territoire national et faisaient d’un désert un pays fructueux et innovant. Ayant retrouvé une dignité déniée pendant des siècles aux dhimmis et aux persécutés des pogromes et de la Shoah, les Juifs ne représentaient plus l’archétype de la victime. Même si près d’un million de Juifs furent expulsés des pays arabes ou contraints à l’exil après 1947 (sans que ne leur soit en rien reconnu un quelconque statut de réfugiés, même temporaire et encore moins à vie et sur plusieurs générations, comme c’est le cas extraordinaire des Arabes de Palestine qui ont quitté leurs villages entre 1947 et 1949 et de tous leurs descendants sans fin), il fallait aux défenseurs des pauvres, des malheureux, des « damnés de la terre », trouver une autre figure de la victime. Ils l’ont donc créée en inventant « le peuple palestinien » martyr des Israéliens.
De la même façon que Pierre-André Taguieff analyse le populisme avant tout comme « un style politique 18», l’antisémitisme contemporain, antisionisme propalestiniste, peut être caractérisé par son style justicialiste revanchard. Le justicialisme consiste dans une posture qui réclame la justice tous azimuts pour « les petits, les dominés, les discriminés, les exclus » considérés comme systématiquement « stigmatisés » et injustement persécutés, tandis qu’une injustice foncière organiserait l’impunité des puissants, des privilégiés, des élites, des dominants, des bénéficiaires de la mondialisation, et… des colonisateurs juifs. Le justicialisme se réclame donc de la « justice populaire » de la « justice pour le peuple », contre « le droit qui opprime et la loi qui triche », contre le « deux poids deux mesures » et « l’impunité des puissants ».
Le justicialisme antisioniste contre la démocratie
Plus largement, cette revendication de punition exemplaire et vengeresse à l’égard des dominants, élites prétendument corrompues, perverses et licencieuses, remet en cause le cadre considéré comme trompeur de la « fausse démocratie », de la République qui serait en fait une dictature. C’est au travers de ce style partagé avec d’autres phénomènes actuels d’autoritarisme, notamment de type « woke 19», que l’antisémitisme va aujourd’hui regagner en force, se redéployer et se bâtir un appareil de légitimation révolutionnaire.
Au-delà d’une familiarité structurelle (polarisation, désignation de l’ennemi anti-peuple, logique du complot), l’antisémitisme et le populisme participent d’une dynamique mobilisatrice commune : l’appel au peuple des populismes apportant sa caution à l’antisionisme, la détestation anti-juive consolidant en retour la convergence d’éléments épars, venus de la droite et de la gauche, de traditions religieuses, de nationalismes divers et de révoltes spontanéismes. Ce « nouvel antisémitisme » qu’est l’antisionisme est en effet devenu l’un des piliers idéologiques non seulement des islamistes à l’offensive, mais aussi de la gauche radicale : des propalestiniens maoïstes arborant le keffieh dès les années 70 aux justiciers de Nuit debout faisant une large place au stand anti-Israël BDS (« Boycott, Désinvestissement, Sanctions ») et aux élus de la France insoumise s’assurant une base électorale « musulmane ».
Cette mouvance contestataire de l’ordre républicain, et éminemment conflictuelle, a ainsi mis au centre de son indignation la question palestinienne, comme l’a exposé Stéphane Hessel : « aujourd’hui, ma principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie. Le conflit est la source même d’une indignation 20». La « question juive » formulée aujourd’hui autour de l’existence de l’État d’Israël fait en effet partie intégrante du discours contre l’impérialisme américain, le néocolonialisme occidental et les élites mondialisées, qui est au cœur de la mobilisation populiste. La revendication justicialiste vécue sur le mode de la revanche, de la vengeance populaire, de la libération de la domination qu’exercent les élites, est alors fantasmée comme une décolonisation et le racisme antiblanc est ainsi justifié sur le même mode que l’antisémitisme antisioniste.
Une nouvelle fois, l’antisémitisme, ici sous sa forme antisioniste, participe de l’attaque contre la démocratie et contre la république à la fois : en fragmentant la communauté nationale, en promouvant un nouveau racisme (antiblanc), en réarticulant religion et politique, en subvertissant l’idée de justice, en valorisant la violence révolutionnaire. Le propre de l’action populiste est en effet sans doute son caractère non-institutionnel : le peuple se réalise, prend forme et réalité dans l’action spontanée qui en un instant fait unité d’une pluralité éparse. Pas de véritable mouvement populiste sans mouvement de foule, c’est-à-dire sans « débordements » ; débordement de l’affect et de l’action, car « la formation d’une foule exige l’exaltation et l’intensification des émotions » comme le dit Ernesto Laclau reprenant presque mot pour mot une phrase de Freud 21.
Déçus, se sentant trompés, floués par la droite comme par la gauche, ces nouveaux Indignés opposent leur radicalité contre toutes les façons institutionnalisées de faire de la politique, y compris celles qui se prétendent antisystèmes. Cette « démocratie à la base » met en scène un peuple qui s’affranchit de la parole prépondérante du leader pour se l’approprier et en donner des variations infinies. Ce peuple prétend à l’égalité avec les puissants et produit une sorte de populisme sans leader. Une rumeur, un mot d’ordre lancé sur les réseaux sociaux, et les chahuts ou les escraches 22 prennent forme, les black-blocs se constituent, les actions terroristes se décentralisent comme des bombes à fragmentation.
La notion de « privilège juif »
Dans sa définition originelle, un privilège relève d’un statut juridique particulier accordé à certains leur permettant de jouir d’un avantage, tandis que d’autres en sont privés absolument. Dans la théorie du privilège social, cette notion de privilège est distordue : le privilège n’y ressort pas d’un droit inégalitaire, mais d’une situation de fait. De naissance ou par acquisition conjoncturelle, les privilégiés profiteraient, parfois à leur insu, d’un système social supposé foncièrement injuste. La notion de privilège social a été théorisée par la chercheuse féministe Peggy McIntosh à la fin des années 1980 23. Le privilège désigne alors un effet « systémique ». Les privilèges sociaux proviendraient essentiellement — c’est le cas de le dire – du fait d’être un homme et/ou un individu de race blanche.
La théorie du privilège devient donc une doctrine militante anti-occidentale sans rédemption possible pour les privilégiés, la fin des privilèges ne pouvant advenir que dans une pulvérisation apocalyptique du « système » maléfique. Devenu mystique, le discours sur les privilèges fait perdre le sens des causes sociales. Religion séculière d’un nouveau type, la théorie du privilège est moins millénariste que martyrologique : on ne projette plus un avenir radieux à l’horizon certes incertain, mais où l’oppression serait abolie, on fantasme plutôt un temps immobile où l’injustice se perpétue éternellement et doit donc être sans fin traquée et extirpée des corps et des esprits.
Ce retour à une sorte d’intemporalité de la pensée mythique à travers la survalorisation de la figure victimaire est tout à fait symptomatique de notre époque où les scènes politiques (nationales et transnationales) sont saturées de tonalités sentencieuses, accusatrices et justicialistes. La théorie aberrante du « privilège blanc » a ainsi produit un surgeon spécifiquement antisémite. À la mi-juillet 2020 24, résonnant avec l’hashtag #privilège blanc, est apparu sur Twitter l’hashtag #JewishPrivilege (« privilège juif »), repris par plus de 122000 messages antisémites en vingt-quatre heures.
La diffusion du slogan « privilège juif » sous la forme moderne du tweet syncrétise alors cette détestation des Juifs comme groupe privilégié. La thématique du Juif et de l’argent est bien sûr sous-jacente, mais un nouvel élément vient s’y ajouter sur le mode du favoritisme. Les Juifs seraient non seulement des profiteurs, des exploiteurs, des expropriateurs, mais aussi des privilégiés. Des privilégiés par rapport à des groupes qui seraient « stigmatisés », discriminés, spoliés, frustrés de leurs dus, dépouillés de leur statut de victimes, à assister, à promouvoir par une « discrimination positive », par des avantages compensatoires, par des privilèges en miroir en somme. Les Juifs profiteraient même de la Shoah et agiteraient, pour se faire plaindre, un antisémitisme qui n’existerait pas : « Les Ashkénazes ne sont pas des sémites, Hitler les a tués pour leur rôle social » affirme encore en septembre 2023 Mahmoud Abbas 25. Une variante de cet antisémitisme du privilège peut aller jusqu’aux thèses négationnistes : les Juifs feraient plus qu’instrumentaliser la Shoah, ils l’auraient inventée !
Le concept de privilège juif, permet ainsi à l’antisionisme propalestiniste de reprendre les éléments de l’antisémitisme traditionnel : les Juifs et l’argent, les Juifs et le pouvoir, les Juifs et le cosmopolitisme, les Juifs et la fourberie, les juifs et leurs « jérémiades », pour les traduire en thématiques antijuives contemporaines prenant pour cible l’État d’Israël. L’État d’Israël serait illégitime parce que son territoire ne serait pas une terre juive (l’histoire est niée et les lieux historiques juifs sont baptisés de noms arabes faisant référence à l’islam : « le mont du Temple » est devenue « l’esplanade des mosquées », la « Judée et la Samarie » sont « la Palestine », et Hébron, Jéricho et jusqu’à Jérusalem sont revendiquées comme des villes arabes ou des lieux saints musulmans et non Juifs). Les Juifs seraient donc des colonisateurs qui usurperaient la terre des Arabes et plus particulièrement desdits « Palestiniens », allant jusqu’à réaliser un génocide du « peuple palestinien », en se faisant passer pour des victimes, comme le faisaient les nazis, dont les Juifs seraient une nouvelle incarnation.
Vladimir Jankélévitch était donc visionnaire, qui dans un texte de 1967, repris dans l’ouvrage posthume L’imprescriptible 26, écrivait : « L’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission — et même le droit, et même le devoir — d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. »