Tribune publiée le 29 janvier 2022 dans « Front Populaire » en ligne, puis reprise sur le site Lieux Communs. Les liens hypertextes supprimés lors de l’édition initiale ont été restaurés.
Les saillies de Sandrine Rousseau provoquent régulièrement incrédulité, consternation ou hilarité, au point que l’on s’est réjoui de voir promu l’insipide Yannick Jadot incarner l’écologie « de gouvernement » – c’est-à-dire impuissante. Mais il faudrait prendre au sérieux la puissance du mouvement dit « woke » dans la mouvance écologiste : faire pièce à ces discours délirants exige, surtout, de comprendre comment nous en sommes arrivés là.
Entrisme islamo-indigéniste
En réalité, ce n’est pas seulement l’appareil EELV qui défile et fricote avec des islamo-gauchistes comme Esther Benbassa, Fatima Ouassak ou Ali Rahni, ou les municipalités « vertes » (Grenoble, Bordeaux,Lyon…) à l’avant-garde du « néo-féminisme » ou des idéologues végans. Il y a la plupart des milieux universitaires, éditoriaux et médiatiques qui diffusent massivement les discours de l’« écologie décoloniale » mais aussi les journaux de référence comme Reporterre qui promeuvent le gang Traoré ou Nabil Ennaseri, proche du Qatar. Ce sont encore nombres de groupuscules comme « Pour une Écologie Populaire et Sociale » qui se mettent à l’école de Danielle Obono oudeRhokaya Diallo, mais aussi les revues militantes historiques comme Silence ! qui se convertissent à ce nouveau catéchisme ou les milieux de la permaculture, du bio et des éco-lieux peu à peu infiltrés par le halal, l’écriture inclusive et l’éco-Jihad. Et il n’a fallu qu’un passage aux USA pour que Greta Thunberg déclare la lutte « pour le climat » lutte contre les « systèmes d’oppression coloniaux, racistes et patriarcaux ». Les quelques rares opposants comme la revue La Décroissance ou Pièces et Main d’Œuvre récoltent les anathèmes convenus, les menaces voire des actions violentes.
Il ne s’agit pas là de la simple conséquence d’un entrisme conjoncturel : cette lame de fond constitue la dernière étape en date d’une longue trajectoire qui mobilise les fondements même de l’écologie politique.
Remise en cause des fondements de l’écologie politique
Celle-ci s’est instituée progressivement dans l’après-guerre, nouant les fils épars des décennies et des siècles précédents, à l’intersection du féminisme et des sciences exactes, des luttes populaires et de l’hygiénisme, de l’économie des ressources et des sentiments religieux. Cette hétérogénéité a été emportée dans les mouvements des années 60 puis évincée au fil de la domination idéologique de la gauche progressiste. Depuis, et malgré quelques tentatives, l’écologie politique ne s’est jamais émancipée de cet univers mental, et n’a pu qu’être entraînée par la lente dégénérescence de la gauche jusqu’à aujourd’hui, dont le « wokisme » est à la fois le symptôme éclatant et la phase terminale. De même que les surenchères continues des islamo-gauchistes obligent la gauche et ses extrémités à une profonde, mais tacite, introspection, les écologistes devraient se demander, eux aussi, comment ils ont bien pu en arriver là.
La critique écologique du monde moderne étant une radicalisation de la critique portée par les gauches historiques envers les sociétés modernes, elle en reprend les pires travers en les radicalisant eux aussi.
Absence des travailleurs de la nature
Ainsi, à rebours de ses racines historiques, la gauche a progressivement abandonné les « classes ouvrières », trop désobéissantes, leur préférant peu-à-peu les fellagas, le Viet Cong et les masses chinoises, puis les immigrés, de préférence musulmans et aujourd’hui « racisés »… L’écologie politique, telle qu’elle s’est instituée à la fin des Trente Glorieuses, s’est presque immédiatement coupée des « campagnes », de tous ceux qui travaillaient, concrètement et quotidiennement, cette nature avec laquelle il s’agissait pourtant de renouer : chasseurs, agriculteurs, marins-pêcheurs, jardiniers, éleveurs ou forestiers, avec leurs savoirs millénaires et leurs pratiques, leurs interrogations et leurs désirs. Les écologistes, pourtant si alertes et précautionneux pour la sauvegarde des « peuples autochtones » partout dans le monde, n’ont pas su, pu ou voulu s’adjoindre les derniers représentants à l’agonie d’une civilisation en lien direct avec la biosphère aux prises avec bureaucraties étatiques et les trusts. Les conséquences de ce décalage béant sont incalculables : c’est toute la dimension proprement et profondément conservatrice de l’écologie politique qui est demeurée impensée mais aussi, et conséquemment, tout lien tangible avec une nature concrète et vécue comme avec tout peuple réel… Plus encore que les électeurs de la « gauche », la clientèle des partis écologistes est caricaturalement urbaine, aisée, diplômée, organiquement intégrée dans la mégamachine économique. Ces bonnes âmes espèrent ainsi ne pas avoir à trancher entre les forces oligarchiques / progressiste et les révoltes populistes / nationalistes. Les écologistes en mal de soutien populaire rencontrent logiquement dans leur errance les idéologues indigénistes, islamistes, communautaires et racialistes se présentant comme les « damnés de la Terre » et leur promettant, non sans calculs, un peuple de substitution
Anti-occidentalisme obsessionnel
Ce mépris pour les classes populaires autochtones est largement partagé par la gauche, qui a depuis longtemps délaissé l’analyse du capitalisme pour charger les sociétés occidentales de tous les maux – fussent-ils antédiluviens – puis, aujourd’hui, transformer le « mâle blanc » en bouc-émissaire planétaire. La posture est reproduite par la majorité des courants de l’écologie politique qui, ici encore, l’amplifient. Si dans une perspective d’une auto-transformation de la société, les critiques du consumérisme, du productivisme ou de la réification sont des éléments essentiels, elles sont devenues, au fil du temps, les supports d’une condamnation sans appel de la civilisation occidentale dans sa totalité – en continuité avec la philosophie heideggérienne, mère de tous les déconstructionnismes contemporains. Parallèlement, l’intérêt porté pour les sociétés traditionnelles, les savoirs locaux et la diversité indissolublement biologique et culturelle s’est mué en primitivisme caricatural érigeant la globalité du monde non-occidental (voire prénéolithique) en modèle d’« harmonie avec la nature ». Deux positions complémentaires aussi fausses l’une que l’autre, et de multiples façons, qui dénie à l’écologie politique son essence éminemment occidentale. Car la science écologique n’est pas une cosmogonie religieuse, mais bien une recherche ouverte et rationnelle sur les processus naturels directement issue de la grande aventure scientifique débutée en Europe au XIIIe siècle. De même la politique, telle que nous l’entendons, n’est pas le fait du prince, du sultan, du pharaon ou du chef de tribu, mais bien délibération explicite sur l’auto-organisation des adultes formant société, création éminemment gréco-occidentale en voie de disparition. Le post-modernisme qui traverse à grand bruit l’écologie politique nous ramène bien plutôt à une pré-modernité, dont le fantasme infantile se dissipe rapidement au contact brutal de réalités désagréables qu’il est facile d’éprouver, par exemple, dans les « territoires perdus » des métropoles et de leurs marges.
Millénarisme laïco-religieux
Issu des courants matérialistes et rationalistes, la gauche marxiste a engendré une vulgate et des régimes totalitaires dont on a tardé à comprendre le caractère profondément religieux. L’écologie n’est pas en reste et, ici encore, elle réactive avec d’autant plus de radicalité un imaginaire proprement mythologique. Il ne s’agit plus ici d’un nouveau monothéisme avec livre sacré, prophètes et apôtres, peuple élu et Parousie mais plutôt d’un syncrétisme qui tend vers un authentique millénarisme : la grande réconciliation cosmique par l’établissement d’une communion avec une Nature sacralisée. On y trouve pêle-mêle des relents apocalyptiques et des bons sauvages, des jardins d’Éden et des Golem, un Homme pêcheur devant réintégrer une Création divine modelée pour lui, le retour des catégories du pur et de l’impur, de la contrition et du dénuement, la Mère-Nature et les sorcières, la pensée magique et la croisade des enfants (« pour le climat »). Cela se traduit, dans le respectable langage universitaire et militant qui prolifère, par la « remise en cause de l’ontologie naturaliste de l’Occident », soit l’abandon de la distinction Nature / Culture, sur le modèle de l’animisme des Achuars d’Amazonie popularisé par P. Descola. Cet intellectualisme anti-Lumières cherche ainsi à « dépasser » les distinctions entre la société humaine et les déterminations naturelles, la politique et la science, l’opinion et le savoir, la croyance et la rationalité, l’humain et le non-humain… On comprend ainsi que les élucubrations loufoques aujourd’hui enseignées dans les amphithéâtres sous couvert d’ « études » dites « de genre » ou « décoloniale » trouvent écho chez nombres d’écologistes. Ceux-là semblent incapables de saisir les relents totalitaires qui se dégage de cette confusion induite par la volonté de faire de la politique une science et de la science une politique – ce que tend très précisément à réaliser ceux qui se réclament de l’écologie politique.
Ce sont là, on le voit, des tendances lourdes : les « dérives radicales » de l’écologie politique ne sont en réalité que le déroulement logique de ses axiomes gauchisants hérités de l’histoire. Ils expliquent également la nullité presque totale de l’écologie dite « raisonnable », « gestionnaire » ou « réaliste » dont Yannick Jadot est le dernier avatar et qui permet d’éviter tout questionnement sur l’organisation sociale, ses moyens et ses finalités ou le rôle de la techno-science contemporaine derrière le verdissement généralisé. Radicalisme abstrait et caution réformiste se renvoient l’un l’autre leur absence de projet de société consistant – ils ne sont pas de l’écologie politique mais forment un conglomérat idéologique qu’il faut bien appeler l’écologisme, en cours d’hybridation avec les courants les plus régressifs qui obscurcissent encore davantage notre époque déjà bien sombre. Les dissidents de ce prêt-à-penser sont nombreux – ils forment même la majorité de ceux qui se soucient plus de l’avenir de la civilisation humaine sur la planète que de leur reflet dans le miroir de la bien-pensance. Ce sont eux qui, silencieusement, sans même le savoir, toujours loin des « effets de langages » écologistes ou gauchistes de ces minorités bruyantes, travaillent à faire émerger une véritable écologie politique, qui reste toujours à naître.