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L’influence des modèles libéraux anglo-saxons diffusés par Bruxelles sur la Recherche

Résumé en 4 points

Le budget du Conseil européen de la recherche (ERC) alloué au programme de sept ans d’Horizon Europe s’élève à 16 milliards d’euros dédiés aux pays membres de l’UE ainsi qu’aux nations associées, dans le cadre du programme-cadre européen pour la recherche et l’innovation (PCRI). La France est-elle autonome dans sa politique d’enseignement supérieur ? Non, car elle se conforme aux politiques européennes inspirées par les Nations unies visant à atteindre des objectifs fixés de l’extérieur. Au cours des 15 dernières années, la recherche et l’enseignement supérieur en France ont été transformés en silence, en partie influencés par les modèles libéraux anglo-saxons établis par Bruxelles. De nombreux chercheurs, de tous les horizons politiques, s’inquiètent des effets néfastes de ces changements. En France, le financement de la recherche reposait sur l’évaluation par les pairs. Chaque projet aujourd’hui doit se conformer à des critères idéologiques, voire à des sujets prédéfinis. Il est pourtant essentiel de préserver l’autonomie scientifique de la recherche française en raison de sa nature démocratique basée sur des organes élus de chercheurs et de la validité des évaluations d’experts.

1- La recherche axée sur les objectifs impose des contraintes à la liberté académique: en effet, les priorités nationales de recherche financées dans le cadre de la loi de programmation s’intègrent dans six clusters au sein d’Horizon Europe avec en particulier le pôle « culture, créativité, société inclusive ». Ces pôles correspondent aux défis mondiaux exprimés par les objectifs de développement durable des Nations unies (ODD). Les budgets français mesurent la position nationale par rapport aux concurrents internationaux en utilisant des indicateurs tels que les parts de publications liées spécifiquement aux domaines de la culture ou, c’est là que le bât blesse, de l’inclusivité elle-même portée par les guidelines de la Commission.

2- Prenons l’exemple des études de genre. L’article 79, paragraphe 1, du TFUE établit une compétence partagée entre l’UE et les États membres pour atteindre un Espace européen de la recherche. Une recommandation de 2012 de la Commission européenne énonce six priorités thématiques, notamment l’intégration de « l’égalité des sexes » dans les projets financés, en en faisant ainsi une exigence par défaut et un critère d’évaluation. La nouvelle stratégie européenne exige donc un plan institutionnel pour l’égalité des sexes (puis des genres) dans les institutions recevant un financement européen: pas de plan, pas de financement.  L’intégration des dimensions de genre dans le contenu de la recherche et de l’enseignement est désormais une priorité absolue. Cette approche progressive introduit de nouveaux concepts tels que l’intersectionnalité. Dans le programme de travail 2021-2022 d’Horizon Europe, la section Culture, Créativité et Société inclusive incluait des éléments qui abordaient des questions légitimes tout en adoptant subtilement des codes « woke ». Cela permet au projet plus orienté vers l’activisme « Woke » d’obtenir un financement substantiel en abordant le féminisme, l’intersectionnalité, les questions de genre et même le racisme structurel.

3- La France est proactive dans cette démarche: le Ministère français de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a lui-même remplacé le sexe par le genre, notions éminemment contestable. Ce changement est apparu pour la première fois dans leur proposition de budget pour 2016. Depuis 2019, l’objectif d’égalité des genres ne se limite pas au budget du programme 172, mais devient un objectif global pour la recherche elle-même: le tour est joué. Il est important de comprendre qu’il existe donc une marge de manœuvre politique si un ministère choisit de reformuler les objectifs fixés par la Commission européenne.

4- Que faire ? Des événements récents tels que le Qatar Gates révèlent des influences externes affectant la Commission. La France a résisté à cette influence en raison de son organisation historique impliquant des institutions nationales comme le CNU et Tariq Ramadan n’a jamais obtenu de chaire en France. 

  • Il est essentiel d’exiger des responsabilités lors du financement direct de l’idéologie intersectionnelle, comme on peut le voir avec l’appel à propositions de 9 millions d’euros de l’Europe sur « l’écoféminisme intersectionnel ». 
  • Il faut cesser de propager les critères DEI (diversité et inclusion) ; rappelons le rejet du projet d’étude sur la gravité quantique de la physicienne allemande Sabine Hossenfelder en raison d’un questionnaire EDI incomplet.
  • Il faut engager un dialogue avec les acteurs clés au sein de la Commission – les agences exécutives, les cabinets de recherche et la représentation permanente de la France. 
  • Il faut sans doute mettre en place des systèmes de veille de l’information informant la représentation nationale des mouvements européens ayant un impact sur la recherche. 
  • Il faut enfin créer un organisme européen composé de chercheurs similaire au CNU en se concentrant sur l’essence universitaire – rendant ainsi la liberté aux chercheurs de déterminer librement les orientations de leur recherche.

Développement

Depuis une quinzaine d’années, les conditions de la recherche et de l’enseignement supérieur en France ont été bouleversées en silence, en partie sous l’influence des modèles libéraux anglo-saxons diffusés par Bruxelles. Nombreux sont les enseignants chercheurs, de tous bords politiques, qui s’inquiètent des effets pervers de ces évolutions et de l’abandon de garde-fous spécifiques, que l’Université française avait construits depuis deux siècles au service de l’esprit scientifique.En France, le financement de la recherche découlait de son évaluation par les pairs. Désormais, ceux qui sont choisis par les organismes de recherche officiels s’obtiennent sur des projets appréciés par des instances qui ont davantage parti lié aux sphères politiques et bureaucratiques que scientifiques. Chaque projet de recherche doit se conformer à une liste de critères idéologiques -quand ce ne sont pas les sujets de la recherche eux-mêmes qui sont prédéfinis (on dit « fléchés »). Il est pourtant essentiel de préserver l’autonomie scientifique de l’évaluation de la recherche française pour deux raisons au moins: 1) son caractère démocratique, car il repose sur des instances élues par des collèges d’enseignants chercheurs 2) la validité scientifique de l’expertise.Ces deux aspects nous semblent les meilleurs garants de la liberté académique et du pluralisme des approches. La science peut répondre à des commandes ; mais le bouleversement de l’épistémologie des sciences au service des commandes conduira la Recherche dans l’impasse.

La politique de Recherche française

Le budget alloué à l’ERC pour les 7 ans de Horizon Europe est de 16 milliards d’euros, dédiés aux 27 pays de l’Union européenne, auxquels s’ajouteront les financements des pays associés au 9ème Programme Cadre Européen pour la Recherche et l’Innovation (PRCI). La France a-t-elle une politique en matière d’enseignement supérieur et de recherche? Non, car elle se conforme aux politiques européennes inspirées par l’ONU, en visant à remplir des objectifs fixés par autrui.

L’inflexion des objets de recherche par le politique

La Recherche par objectifs ?

Les priorités nationales de recherche, telles qu’elles seront portées et financées par la loi de programmation de la recherche, s’intègrent naturellement dans le cadre des 6 clusters (« pôle » en français) du pilier 2 (« Problématiques mondiales et compétitivité industrielle européenne ») du huitième programme cadre européen « Horizon Europe1 », à savoir
• santé ;
• culture, créativité et société inclusive ;
• sécurité civile pour la société ;
• numérique, industrie et espace ;
• climat, énergie et mobilité ;alimentation, bioéconomie, ressources naturelles, agriculture et environnement.

Ces six pôles s’articulent eux-mêmes avec les grands enjeux globaux exprimés par les objectifs de développement durable (ODD), définis par l’agenda 2030 ratifié par 193 pays de l’ONU, dont la France2. Les contrats d’objectifs et de performance (COP) des opérateurs de recherche relevant de la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES), dont le ministère chargé de la recherche exerce la tutelle ou la cotutelle, prévoient la mobilisation de leur effort de recherche en cohérence avec les priorités nationales de recherche et l’agenda 2030 des ODD.L’indicateur proposé par le budget général français suit la position de la recherche française par rapport à ses principaux partenaires et concurrents. Son but est donc de poursuivre son évolution, à partir du suivi de la production scientifique des opérateurs de la MIRES, tous domaines scientifiques confondus, exprimée sous forme de la part des publications scientifiques que les personnels de ces opérateurs ont produites. (p. 143)

L’un des indicateurs de la performance de la production scientifique française, c’est le pourcentage de publications françaises dans l’ensemble des publications mondiales consacrées à la « Culture, créativité et société inclusive ». On comprend l’orientation des financements vers les projets woke qui sont un ressort incitatif pour atteindre « des objectifs ». On voit donc que la « recherche sur objectif » est en réalité un « cadrage de la recherche », et une contrainte politique qui pèse lourdement sur la liberté académique.

La question du genre, cas d’étude

L’article 179 paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) instaure une compétence partagée entre l’Union et les États membres pour la réalisation de l’Espace européen de la recherche (EER), défini comme un espace « dans lequel les chercheurs, les connaissances scientifiques et les technologies circulent librement ». Le cadre opérationnel de mise en œuvre de l’EER a été consacré par une recommandation de la Commission européenne du 17 juillet 2012 qui structure la mise en œuvre de l’objectif du TFUE autour de 6 priorités thématiques :

• accroître l’efficacité des systèmes nationaux de recherche ;
• optimiser la coopération et la concurrence transnationales ;
• ouvrir le marché du travail pour les chercheurs ;
• égalité de genre et introduction de la dimension du genre dans la recherche4 ; …

Les conditions de l’obtention de financement sont décrites ici par la Commission5. La dimension « de genre » devient pour les projets soumis: « une exigence par défaut, un critère d’attribution évalué selon le critère d’excellence ». Tout projet de recherche recevant des financements européens doit, par les questions qu’il pose ou les approches qu’il choisit, contribuer à l’égalité des sexes. La nouvelle stratégie européenne rend obligatoire l’existence d’un plan institutionnel pour l’égalité des sexes pour les institutions qui reçoivent de l’argent européen. Pas de plan, pas de financement…

« Pour les appels dont la date limite est fixée à 2022 et plus, l’existence d’un plan pour l’égalité des sexes sera un critère d’éligibilité pour tous les organismes publics, les établissements d’enseignement supérieur et les organismes de recherche souhaitant participer à Horizon Europe ».

En lisant les détails, on apprend que cette stratégie européenne recommande cinq domaines thématiques à inclure dans ces plans : « l’intégration de la dimension de genre dans le contenu de la recherche et de l’enseignement ». Ce plan glissant ouvre la porte à de nouvelles notions comme l’intersectionnalité. Dans le programme de travail 2021-2022 pour Horizon Europe, section « Culture, créativité et société inclusive6 », on trouve les éléments suivants qui tout en abordant des questions légitimes reprennent entre les lignes les codes du wokisme, ce qui permettra aux projets woke, plus activistes qu’académiques, de trouver des financements substantiels et de façonner le paysage de la recherche à l’avenir :

  • HORIZON-CL2-2021-DEMOCRACY-01-037: Feminisms for a new age of democracy (9,9 millions d’EUR): Projects are expected to address some of the following points: To examine the contribution of modern theoretical frameworks of feminist thought and gender analysis – including, e.g., care ethics, ecofeminism, intersectional theory and inclusive feminism, queer theory, masculinity studies –, as well as activism and political practices, to the renewal of fundamental political concepts.
  • HORIZON-CL2-2022-DEMOCRACY-01-028: The future of democracy and civic participation (9,9 millions d’EUR): Proposals should include a specific focus on inequalities in civic participation, including ethnicity, gender, intersectionalities and digital divides, and explore and propose remedies.
  • HORIZON-CL2-2022-TRANSFORMATIONS-01-05: Gender and social, economic and cultural empowerment (9,9 millions d’EUR): Consider how intersectionality of gender with, e.g., ethnicity, social origin, religion, disability, and sexual orientation impacts one’s position and rights in society and social hierarchy, as well as one’s life and career choices.

Il peut être intéressant de lire aussi HORIZON-CL2-2022-TRANSFORMATIONS-01-08: Strengthening racial, ethnic and religious equality (9,9 millions d’EUR) (page 98) qui mentionne le racisme structurel.

« égalité des sexes », « égalité des genres »: une initiative nationale

La recommandation de la Commission européenne du 17 juillet 2012 dit ceci: « égalité entre les sexes et intégration de la dimension hommes-femmes dans la recherche9 ». Or le Ministère français de l’Enseignement supérieur et de la recherche fait exactement l’inverse: il remplace de son propre chef le sexe par le genre. La première fois que le bleu budgétaire du Ministère cite cette recommandation de la Commission européenne, c’est en 2015, pour le projet de loi de finances 201610. Tous les bleus budgétaires suivants vont reprendre l’expression. Depuis 2019 [PAP11 2020], et donc aussi en 2020 [PAP 2021], cet objectif « égalité de genre et introduction de la dimension du genre dans la recherche » n’est plus réservé au programme budgétaire 172 (Voir la sous-partie « Recherches scientifiques et techniques pluridisciplinaires »), mais il devient un objectif énoncé dès la présentation générale de la mission « Recherche et enseignement supérieur », parmi les « Objectifs et indicateurs les plus représentatifs de la commission » (PAP 202012 p. 21, PAP 202113 p. 23).Il existe donc bien une marge de manœuvre politique: si la Commission européenne fixe un objectif, un Ministère français peut le reformuler selon ses propres vues. Il est envisageable de réclamer qu’on remplace, dans le prochain projet annuel de performances, la formulation française en des termes plus proches de ceux de la Commission.

Perspectives d’influences

Des événements récents comme le Qatargate on permis de montrer que la Commission est poreuse à des influences extérieures. L’introduction de la notion d’islamophobie depuis 2015 dans le champ culturel de la Commission est un exemple patent de cette influence à combattre. La France notamment a montré que son système historique était particulièrement résistant à ce jeu d’influence. C’est notamment le fait de son organisation historique arc-boutée sur des instances nationales comme le CNU qui a permis que Tariq Ramadan n’a jamais obtenu de chaire dans une Université française. Il faut souligner également que ces dynamiques de recherches reconstruites obèrent la visibilité sur des problématiques essentielles, notamment pour la compréhension des sociétés africaines qui échappent de facto aux grilles de lectures préconstruites par la commission.

1/ Il faut demander des comptes quand on finance directement l’idéologie intersectionnelle : en 2021, l’Europe lançait un appel d’offres à 9,9 millions d’euros sur les thèmes ecofeminism, intersectional theory and inclusive feminism, queer theory[ A.ppel HORIZON-CL2-2021-DEMOCRACY-01-03: Feminisms for a new age of democracy): « Projects are expected to address some of the following points: To examine the contribution of modern theoretical frameworks of feminist thought and gender analysis – including, e.g., care ethics, ecofeminism, intersectional theory and inclusive feminism, queer theory, masculinity studies –, as well as activism and political practices, to the renewal of fundamental political concepts » (mes italiques). Il y a matière à interroger la commission.

2/ Il faut stopper la diffusion des critères DEI (« Diversité et Inclusion ») : Rappelons le sort d’une physicienne allemande, Sabine Hossenfelder, étoile de sa discipline, qui vit son projet sur la gravité quantique refusé au motif qu’elle avait négligé de remplir le questionnaire EDI. Ce refus d’allégeance à l’idéologie intersectionnelle l’a privée de ses financements, alors que les femmes ne se bousculent pas dans ce domaine. Une revue internationale de biologie comme Cell invite maintenant les chercheurs à soumettre une déclaration « diversité et inclusion » en précisant si « un ou plusieurs des auteurs de cet article s’identifient comme membres de la communauté LGBTQ+ ».

3/ Entrer en dialogue avec les interlocuteurs auprès de la Commission qui sont essentiellement :les Agences exécutives (Recherche et Culture) qui maîtrisent les étapes des budgets et transposent en orientations budgétaires des directives, des cadres généraux.Le Cabinet de Margrethe Verstagger, Commissaire Danoise en charge de la Recherche.la représentation permanente de la France auprès de la Commission (PermRep).

4/ Mettre en place une veille informative destinée à informer la représentation nationale des mouvements européens affectant la Recherche. Et réciproquement, former les commissaires européens et les interlocuteurs aux problématiques de la Recherche. 5/ Créer une instance européenne, un CNU de la Recherche européen, composée de chercheurs. Il faut revenir à l’essence même de l’Université millénaire et rendre à la Recherche la liberté de déterminer ses orientations.